" L'existence et le monde ne sont
" L'existence et le monde ne sont justifiables qu'en tant que phénomènes esthétiques. "
--- Nietzsche, La Naissance de la tragédie
DISC0016 to DISC0045
En un sens, mon travail se résume à faire de la tapisserie de luxe.
Les images camouflent le silence ou l'agitation du quotidien.
Plusieurs fois, j'ai ouvert les pages d'un journal pour y relater mes inspirations visuelles et autres divagations lors de mes rencontres avec certaines œuvres. Je voulais être à l'image de l'intellectuel qui note une phrase d'un grand philosophe dans son petit moleskine comme la célébration ultime d'intenses retrouvailles entre sa pensée et la communauté universelle des grands de ce monde avec la vie. Plusieurs fois, je me suis arrêtée. Frustrée. Quand on recherche les images, la forme visuelle, on ne peut trouver de réponse dans un dire, seulement une interprétation. L'écriture ne peut qu'accompagner l'intention et la motivation du faire mais l'image, elle ne peut la dire. Je peux écrire sur une forme mais trouver aucune équivalence aussi "parlante" que la trouvaille d'une autre. Seule une image se substitue à une autre, non un commentaire.
Je me rappelle la lecture de Louis Marin lorsque j'étais à Leeds. Je l'avais trouvé sérieusement hilarant.
Qu'est-ce qui fait la force d'une image ? Sûrement pas le discours du photographe, ni son journal de recherche, ni le critique assis non loin de là ou le professeur d'histoire de l'art au coin de la pièce. Plus je montre mon travail et plus je réalise combien les préférences divergent, que l'œil de tel professeur est attiré par telle image, l'œil de tel invité par telle autre, celui de tel étudiant par tel détail. Les avis sont si partagés. A l'écoute de chacun, je ne sais parfois plus où me placer dans cet amas de choix et d'interprétations.
J'ouvre à nouveau mon carnet et j'y relis quelques annotations. Insatisfaite. Je peste contre ma façon d'écrire. Tant de chichis avec les mots. Aucune prise possible, aucune forme. Où est la justesse ?
2 carnets plus tard. 2 trucs. Hors de question que je montre ces tentatives comme carnet de recherche. Sauf... qu'il faudra bien céder. "Pour expliquer ta photographie, écris des poèmes, peins ou dessine ! Arrête donc le grabuge ontologique !", me chuchote une voix intérieure.
Le champ (chant ?) des images possède son propre langage mais grâce lui soit rendue, aucun humain, je crois, ne lui a trouvé une langue. On communique comme on peut son rapport à l'image, en cafouillant avec des mots qui définissent un peu ce que l'on fait. On tourne autour du cadre avec des "pourquoi". Passé plus de 5 min à discourir sur une feuille de papier accrochée sur un mur blanc, j'abdique de mon trône d'auteur photographe. Mes photographies pour un appareil !!!!
Après avoir regardé mes images, Jeffrey Silverthorne m'a demandé:
"Do you draw ?". J'ai répondu: "Oh nooo.". "You should.", a-t-il dit.
J'ai esquivé: "I am pathetic."
Il a conclu: "Perfect, do it."
J'ai commencé un nouveau carnet.
Je rassure tout le monde, je dessine aussi bien qu'un tournesol regardant Van Gogh endormi dans son lit.
1 an jour pour jour
Polaroids
(en cours)
Arles, mercredi 7 janvier 2009
Maria Do Mar Rêgo under the Snow.
She stood still, chilly to the bone, her feet wet and frozen.
She was just there.
Mon bien cher Pangloss,
Je viens de recevoir un communiqué à la fois réjouissant et alarmant.
Peut-être étais-tu déjà au courant ?
Des anciens élèves de l'école exposent dans la big apple.
Les apparences sont pourtant trompeuses; on dit que la salle d'exposition est un couloir. Le mètre carré est cher à NYC.
Voici l'affiche de l'expo que j'intitulerai "Les crâneries de l'E.N.S.P.".
Ici, la vie scolaire va son train.
Les étudiants n'ont toujours pas de massicot "qui coupe droit" ni une salle de finition. Les travaux de renouvellement du sol du labo couleur ne sont toujours pas finis, comme je te l'avais écrit dans ma lettre de septembre dernier. La machine argentique laisse des traces de temps en temps, sans parler des passes-vues déglingues. Enfin, ce n'est rien et c'est beaucoup. Les réunions n'ont pas suffit. Les promesses ont laissé place à la déception. On commence à croire en l'incompétence. Le "système D", comme on dit en France, est décidément le seul outil qu'il faille employer. Bienheureux celui qui a assez d'argent pour faire valoir son travail en ce monde aliéné par la publicité et l'outrageuse propagande du petit soi. Je suis lasse de parler. Aujourd'hui, désabusée, presque écœurée.
S'il est ingrat de cracher dans la soupe, il est aussi irrespectueux de crâner.
Demain est un autre jour, dont il faudra se détacher.
Je t'embrasse.