Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
teatiny
Archives
Publicité
8 août 2008

TRIBUTES (chapter II)

Guillemette_4x5_2_
photo by Vincent Pasquier


Counting the Stars

    Il était environ 15h je crois. Plusieurs coups de téléphone ont annoncé les faits. J’ai cru tout d’abord à une mauvaise blague (les rumeurs vont toujours bon train en Arles et tout particulièrement à l'E.N.S. de Photo). J’ai fini mon paquet de cigarette, consulté internet, visionné l’extrait où Scully faisait un choc anaphylactique dans un couloir sombre donnant sur l’appartement 42, trois puis quatre fois, croisé les incidences, les derniers textos. Et puis encore un autre coup de téléphone me disant que je pouvais venir lundi prochain à Nantes lui adresser un dernier au revoir. Je ne veux pas lui adresser un dernier au revoir. Pourquoi ? C’est surréaliste. Il m’avait laissé un message sur mon répondeur il y a une semaine. Il partait prendre la haute mer Le Capitaine, direction l’Italie. Comme il le disait dans son dernier texto : «  bisous avant silence radio ». Pourquoi dit-on tout cela ? Pourquoi me parle-t-on d’œdème pulmonaire, d’allergie et de taon ? Pourquoi tout à coup cette pesanteur, cet essoufflement à l'évocation de la disparition ?

    J’entame un nouveau paquet. J’éteins et je rallume. J’écris, j’éteins et je rallume. La fenêtre est ouverte. Il est 00h14. Assise en tailleur sur mon lit devant mon ordinateur, la rue s'anime par intermittence. Je prête l'oreille aux murmures et aux chants. Les joyeux drilles sont souvent imbibés. Ville de fête ou d'éternelle dépression latente. J’ai fixé ma platine sur The Animals Were Gone. Je devrais au moins concrétiser cette idée d’écrire. J'ai mal dans la poitrine. Sans l’annonce d’un retour, les vacances sont toujours gâtées de toute façon. J’aurais voulu que tu voies ce que je souhaite devenir. On aurait bu des coups, mangé des olives légèrement aillées, parlé en québécois de l’école façon Richard Desjardins, raconté des blagues graveleuses, ri au nez de mes angoisses estudiantines, agencé tes expériences passées en philosophie de la vie, échangé des DVDs et puis on aurait vogué vers un repas couronné par des pommes à la cannelle et à l’huile d’olive. Tu aurais insisté pour payer je le sais. Tu aurais mis ta casquette qui te faisait un air de "Spielberg en tournage". Avant de se quitter, tu aurais improvisé un petit morceau au piano que tu avais fait installer dans ton bureau au sous-sol.

    Avant son départ à la retraite, le jeudi 5 juin, j’avais réalisé son portrait à la chambre. Il tenait à ce que je le prenne en photo. Je crois qu’il aimait mes portraits, surtout celui que j’avais fait de Françoise. "T'es une fille plutôt chroma", avait-il dit à la fin de ma 1ère année. J’avais monté la chambre dans la cour de l’école en fin de soirée, mon heure. Il s’était installé sur l'un des bancs en bois et avait patienté très sagement le temps que je fasse mes réglages. Avant de prendre l’image, je lui avais demandé de relever légèrement la tête et de regarder droit dans l’objectif. Surtout pas de sourire. J’ai compté jusqu’à trois. Click. J’ai remis le volet dans son châssis et je l’ai remercié.
    Je ne pourrai jamais lui offrir son visage.

    Lui, son truc c'était la vidéo mais il prenait des images avec son portable et aimait jouer avec. Cela donnait ce genre de photographies.

la_manche
photo by Michel Bonne

    Déjà, à la fête de fin d’année de l’école, après les discours officiels puis officieux sur son départ à la retraite, les bises de chacun et les danses à la Travolta, je n’avais pas pu lui dire au revoir.

Woke up and for the first time the animals were gone
It's left this house empty now, not sure if I belong
Yesterday you asked me to write you a pleasant song
I'll do my best now, but you've been gone for so long
 


Ce n’est pas aujourd’hui que je vais pouvoir le faire.

Bisous avant silence radio.




Publicité
Publicité
Commentaires
T
Merci Mathieu, je ne connaissais pas M. Desbiolles.<br /> <br /> Comme dit le Dr. House, il n'y a pas de mort digne, seulement la vie mérite la dignité.<br /> <br /> Là où il est Le Capitaine (et pour reprendre une phrase de Milo - un autre prof -), il doit se dire: "Sale taon pour prendre le large !"<br /> <br /> Je ne sais pas s'il est nécessaire de dire au revoir mais je crois que célébrer la vie à son image, comme il la voyait (chié ! les métaphores visuelles bordel !!) serait la meilleure façon de lui montrer combien sa présence me manque et combien il comptait pour moi.
M
« Il me semble bien entrapercevoir tout un tableau de ces rencontres répétées, de ces vaines conversations (…) de ces attentes, de ces amertumes, qui sans qu’on sache, sans qu’on puisse même soupçonner une quelconque occurrence, font le lit de quelques minutes de grâce. » (Maryline Desbiolles)<br /> Est-il, dès lors, nécessaire de DIRE au revoir ?
Publicité